Depuis ses origines, la sociologie interroge les formes symboliques à travers lesquelles les sociétés se racontent : des rituels fondateurs aux mythologies modernes, des biographies aux utopies, jusqu’aux sociologies de l’imaginaire, du quotidien et des émotions. Le récit n’a jamais été un simple objet, mais une clé d’accès aux structures profondes du social.
La narration est une fonction sociale, une grammaire de l’imaginaire, une pratique de construction du monde. Les sociétés se construisent en racontant — à travers la fabrication partagée de généalogies, de futurs possibles, de liens symboliques. La fiction, dans ce cadre, ne s’oppose pas au réel : elle en constitue un seuil, une torsion interprétative, une modalité épistémique qui rend habitables les discontinuités de l’expérience.
De l’oralité aux algorithmes génératifs, les récits se sont transformés en véritables dispositifs de sens, capables d’articuler mémoires et imaginaires, identités et pouvoirs, technologies et affects. Dans une contemporanéité marquée par la multiplication des espaces médiatiques et par l’algorithmisation croissante de la culture, les formes narratives deviennent des infrastructures invisibles du lien social et de l’autoréprésentation collective : qu’il soit historique ou présentiste, privé ou public, réel ou fictif, le récit inaugure de nouvelles formes d’écologie narrative en connectant sujets, institutions et modèles de comportement.
Aucune société ne peut exister sans récits. Qu’ils soient réels ou imaginaires, partagés ou marginaux, rituels ou subversifs, les récits structurent notre rapport au temps, à l’autre, au monde. Raconter — le passé et le futur, le proche et le lointain, le soi et l’altérité — est une pratique sociale fondamentale, qui se décline aujourd’hui en des modalités toujours plus complexes : séries télévisées, jeux narratifs, mémoires numériques, intelligences artificielles génératives, narrations algorithmiques, univers immersifs.
Dans ce contexte, la sociologie est appelée à interroger la prolifération des formes narratives : la mondialisation des imaginaires, la circulation des mythes techniques et religieux, les stratégies de représentation des identités et des mémoires collectives, la tension entre stéréotypes globaux et résistances locales. Les histoires — dominantes ou alternatives — deviennent des espaces de conflit symbolique, des instruments de négociation du lien social, des terrains de production culturelle et politique.
Le GT12 se veut un espace et contre-espace théorique et empirique de réflexion transdisciplinaire et transmédiale, visant à explorer les intersections entre récit, fiction, culture et société. Le groupe de travail entend s’interroger sur les processus par lesquels les histoires de tout élément social et socialisé sont produites, circulent et se transforment ; analyser les courants de pensée et les représentations imaginaires comme lieux d’émergence des conflits symboliques, des dynamiques de reconnaissance, des aspirations et des fractures qui traversent l’histoire des sociétés ; renforcer les théories sociologiques et les rendre capables d’affronter l’indétermination de l’imaginaire, la dimension politique des formes représentatives, et l’hybridation croissante entre humain et non-humain.
Tout récit implique une configuration de l’espace social, une vision du temps, une hiérarchie de valeurs. Étudier la fiction, c’est analyser les dispositifs théoriques qui agissent dans la vie quotidienne, dans les médias, dans les systèmes éducatifs et technologiques. Le récit est une théorie incarnée du social : il produit des constructions, prévoit des relations, institue des normes, propose des visions du possible. Dans cette perspective, le GT exprime sa volonté de réfléchir sur les récits transmédiatiques et sur les modalités de résistance, de réinvention et de subjectivation que les concepts de récit, d’histoire et de mémoire doivent continuer à générer.
Le GT12 compte actuellement 62 membres
M. Edmondo GRASSI - Chercheur - Sociologie Université Télématique San Raffaele - Département des Sciences Humaines et Promotion de la Qualité de Vie - ROMA, Italie
M. André PETITAT - Professeur émérite - Sociologie Université de Lausanne - Faculté des Sciences Sociales et Politiques - LAUSANNE, Suisse