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Georges BALANDIER (1920-2016)

Georges Balandier : un chercheur à la poursuite de l’inédit et de l’incertain

Daniel Mercure

L’œuvre de notre ami et collègue Georges Balandier a grandement contribué à renouveler le champ de l’anthropologie, en particulier en ce qui a trait aux études africaines et à l’analyse du sous-développement et de la situation coloniale. À la suite de sa belle monographie intitulée Sociologie des Brazzavilles noires, et aussi de son ouvrage Sociologie actuelle de l’Afrique Noire, Balandier propose une lecture novatrice des sociétés « autres », celles soumises au regard anthropologique. D’abord, en accordant une grande attention aux changements qui traversent et que produisent ces dernières, aux temps sociaux et aux temporalités qui les travaillent, aux nombreuses dynamiques « du dedans » et « du dehors », comme il aimait le dire et le répéter. Une telle lecture du social le conduira ensuite à développer une anthropologie dynamique, attentive aux changements sinueux et aux hésitations de la persistance, une anthropologie sociologique centrée sur l’agir humain, un agir qui ne saurait être entièrement subsumé sous le poids des structures, y compris celles de la longue durée, toujours mouvantes à ses yeux. Rien d’étonnant alors qu’il se soit employé, dans une phase subséquente, à développer une anthropologie politique, qu’il étendra plus tard aux sociétés modernes, examinées par le détour de l’anthropologue qui étudie un nouveau terrain, celui du « continent modernité ».

À l’instar de Georges Gurvitch, son maître, le renversement de perspective l’a toujours caractérisé : une sociologie des sociétés traditionnelles, une anthropologie de la modernité. Chez Balandier, changements et pouvoir s’entrecroisent, entrelacs examiné sous la forme d’essais et de formules-mères de type métaphorique dans ses derniers ouvrages, ce qui n’édulcore en rien la lucidité de son regard sur l’actuel : examen à partir des informations publiques des mises en scène du pouvoir, réflexion profonde sur le dédale de l’inédit biotechnique, regard lucide sur les sources du dépaysement contemporain, critique des imaginaires novateurs et des nouveaux pouvoirs en expansion, lesquels sont examinés sous le prisme des apparences, de l’immédiat et de la dytique ordre et désordre. Une œuvre originale, marquée par le refus des dogmes et soucieuse, au-delà des cadres sociaux, et en deçà des multiples stratifications sociales, de comprendre l’intervention sociale de la liberté humaine.

Comme on le sait, Georges Balandier a aussi joué un rôle important à l’AISLF, dont il fut l’un des plus éminents présidents (1965-1968). Je retiens deux contributions importantes de sa part. D’abord, il a grandement œuvré au rayonnement de l’AISLF dans les différents espaces francophones, ainsi qu’auprès d’institutions internationales vouées à la promotion des sciences sociales. Ce faisant, il a contribué à donner une forte crédibilité à l’AISLF. Ensuite, au-delà de son rôle institutionnel, son influence fut grande sur les manières dont notre association tend à examiner le social, du moins en regard d’autres associations savantes. D’une part, et peut-être est-ce un effet de l’influence de son maître Gurvitch, il a toujours insisté pour que nos congrès et colloques privilégient l’analyse globale des sociétés et évitent le piège de l’enferment dans un objet spécifique sous prétexte de précision technique et de rigueur méthodologique : tout objet devait participer d’une lecture globale du social et donner lieu à maintes inférences théoriques, à tout le moins de moyenne portée. D’autre part, l’étude du changement, de la société en voie de se faire et de se refaire, a toujours été pour lui la mission première d’une association vouée au savoir sociologique. Mais il y a plus : pour Balandier, l’inédit doit être pensé comme un révélateur de ce qui travaille en profondeur une société ; et les crises, comme des révélateurs de ce qu’est véritablement la société, laquelle se donne alors à voir en négatif (comme en photographie) dans toute sa complexité. L’examen des différents thèmes de nos congrès m’incite à penser qu’il a atteint son objectif, avec nous tous, sans oublier la proximité lointaine de Gurvitch ; avec nous tous, ses complices admiratifs souvent récalcitrants. Merci Georges.


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