Yves Montoya, Maître de conférences au département des sciences de l’éducation de l’université de Bordeaux est décédé ce lundi 23 décembre 2024, emporté par une maladie brutale. Cela paraît invraisemblable à tous et toutes celles qui ont eu le bonheur de le connaître, famille, ami·es, collègues, tant il avait en lui une pulsion de vie qui entraînait chacun et chacune dans son sillage joyeux. Il était un grand fédérateur.
C’est lorsqu’il est éducateur spécialisé, puis chef de service éducatif au Prado, à Talence, qu’il décide de reprendre ses études. Dès 1991, alors étudiant en DEA, il se passionne avec Eric Debarbieux, qui sera son directeur de thèse, pour la question de la violence en milieu scolaire, thème de ses recherches et publications tout au long de sa carrière. Il est totalement impliqué dans la recherche universitaire bien avant l’obtention de son doctorat, en 2000, sous le titre Violence en milieu scolaire et politique publique en éducation : évolution du phénomène au collège (1995-1999) et évaluation du plan d’expérimentation et de lutte contre la violence scolaire. C’est en effet dès 1992 qu’il contribue à la création et à la mise en place des premières enquêtes de climat scolaire et victimations dans des collèges du Bordelais, puis au niveau national. Il est un pilier sûr du déploiement de ces enquêtes dans les années 1990 et 2000, de l’animation de groupes de médiations sociologiques, ou de l’évaluation du « Plan Allègre » de lutte contre la violence en milieu scolaire en 1998-1999, qui sera l’objet de sa thèse. L’implication sur le terrain éducatif est un de ses mantras : il en vient, il en connaît d’expérience les difficultés, les possibilités, le vocabulaire et les rites. Et ce terrain ne veut pas le lâcher, lui proposant un poste à forte responsabilité et un salaire plus attractif que l’ordinaire universitaire. Mais la passion de la recherche le tient, comme celle qu’il se découvre pour l’enseignement universitaire : il devient en 2001 ATER à Bordeaux puis enfin MCF titulaire en 2002. Son dynamisme et son implication l’amènent à être responsable pour un temps de l’antenne française de l’Observatoire Européen de la Violence à l’École qui a précédé l’Observatoire International. Il a su développer un réseau de chercheurs mais aussi de décideurs qu’il mettra au service de la cause de la prévention de la violence à l’école tout au long de sa carrière. Son approche pragmatique et son enthousiasme ont su susciter l’adhésion à différents projets y compris concernant la question du harcèlement en milieu professionnel. Toujours partant et mobilisé, il a été un acteur majeur sur le plan local. Yves a été un collègue stimulant dont l’état d’esprit positif aura contribué à fédérer et faire équipe.
Yves, une guitare à la main gauche, un questionnaire sur le climat scolaire dans l’autre : pour celles et ceux alors engagés au début des années 2000 dans le temps long de l’écriture doctorale, Yves Montoya et Cathy Mancel, comme Éric Debarbieux et Catherine Blaya, ont aussi été les initiateurs d’une autre manière de faire de la recherche en sciences humaines et sociales : engagée, sincère, collective et joyeuse. Un environnement décisif pour porter dans leur sillage une autre génération de chercheuses et de chercheurs. Car les temps partagés de débat scientifique comme ceux de convivialité emplis de chants, de danses, de tours de magie avec tous leurs enfants et beaux-enfants dans leurs maisons respectives, ont tissé des amitiés indéfectibles autour d’un projet scientifique co-élaboré et partagé par toutes et tous. L’équipée en voiture sept places pour administrer les questionnaires sur le climat scolaire et les victimations dans les collèges et lycées de Lille, Roubaix, et Saint-Denis a sans nul doute marqué nombre d’entre nous tant la semaine fut intense - et parfois difficile - lors des passations et nécessaires les moments de détente et d’échanges post-administration. Les colloques mondiaux sur la violence à l’école initiés par Éric Debarbieux et Catherine Blaya (Paris 2001, Québec 2003, Bordeaux 2006, Lisbonne 2008, Mendoza 2011, Lima 2014) viendront illustrer à merveille cette dynamique en réunissant l’équipe bordelaise de recherche autour de ces rencontres scientifiques qui furent aussi des moments chaleureux et de découvertes culturelles, fondant autant de souvenirs partagés que des liens profonds d’amitié.
Entraîné dans l’aventure de l’Observatoire International de la Violence à l’Ecole, qui est créé à Bordeaux, Yves participe encore à toutes les recherches en cours – comme par exemple l’enquête pour l’UNICEF en 2011 qui mettra à jour l’importance quantitative du phénomène du harcèlement en milieu scolaire, ou encore l’aventure d’une recherche également pour l’UNICEF à Djibouti. Cela lui permettra aussi des contacts avec d’autres horizons de recherche et il codirigera un ouvrage publié aux Presses Universitaires du Québec, L’école actuelle face au changement : instruire, éduquer ou socialiser (Montoya, Y. & Martinez, J. P. 2006, n° 6). C’est encore en 2016 qu’il publie un texte qui résume bien son approche pour et par le terrain « La science au service de l’action : les enquêtes locales de climat scolaire et victimation » (Montoya, Y. & Masson, M., in Debarbieux, E. (dir.). L’école face à la violence. Collection U, 2016, 170-182). Il est également le responsable et auteur principal d’une enquête publiée sous le titre « Climat scolaire et victimation dans les écoles élémentaires en Aquitaine : état des lieux et étude longitudinale » (juin 2017). C’est dire toute la continuité de son engagement, dont ses étudiantes et étudiants ont spontanément témoigné avec une immense tristesse à la nouvelle de son décès. Ses cours, portés par une profonde humanité et un enthousiasme intact ont sans aucun doute marqué ceux et celles qui en ont bénéficié : être universitaire c’était aussi pour lui être un pédagogue, sans jargon et sans langue de bois.
Yves a su aussi se mettre au service de l’institution universitaire, ne rechignant pas devant les responsabilités. Ainsi, au tout début de sa carrière assura-t-il, au sein du Département des Sciences de l’Éducation de l’université de Bordeaux, la direction du DEUSP (Diplôme d’Études Universitaires en Sciences Pédagogiques) puis, plus tard celle de la Licence. Il fut également élu pour deux mandats consécutifs à la direction de ce même département, au sein duquel il a occupé jusqu’à aujourd’hui, les fonctions de responsable de la mobilité internationale des étudiants (ERASMUS) et de coordinateur du double cursus Licence3/IRTS (Institut Régional du Travail Social). Membre des différentes structures de recherche qui, depuis presque 25 ans, ont précédé l’actuel LACES, il a toujours participé d’une manière ou d’une autre aux différentes activités du laboratoire en n’hésitant pas à s’engager dans diverses responsabilités au sein des axes thématiques et du Conseil scientifique où il occupait, jusqu’à aujourd’hui, la fonction de conseiller.
En octobre 2012 – eu égard aux travaux bordelais sur les violences scolaires – Yves avec Jean-François Bruneau et Éric Dugas créent un groupe de travail (GT11) « Sociologie des violences scolaires » au sein de l’AISLF (Association internationale des sociologues de langue française). Le GT associe deux chercheurs étrangers, Zhaïra Ben Chaâbane (Tunisie, Ksar Said, Université de la Manouba) et Martin Gendron (Canada, Professeur à l’Université du Québec) pour devenir en 2022 le CR40, intitulé « Sociologie du bien-être scolaire et social » avec la même équipe aux commandes. Les responsables du GT11 (actuel CR40) ont depuis initié trois ouvrages collectifs et participé à l’organisation d’un colloque international « Oser l’autre. Climats, violences et vulnérabilités scolaires en question », dont les actes seront publiés en 2015. Puis, le congrès de 2016 à Montréal donne le jour au deuxième ouvrage collectif, Les violences scolaires d’aujourd’hui en question (Dugas, dir., L’Harmattan, 2018) ; Yves en co-écrit l’avant-propos. Enfin, suite au congrès de 2021, en pleine pandémie et organisé à distance, Yves Montoya – associé à Jean-François Bruneaud et Zhaïra Ben Chaâbane –, co-dirige le troisième ouvrage collectif, Le bien-être au prisme des violences scolaires. Espaces, corps, valeurs (Presses universitaires de Bordeaux, collection S@nté en contextes, en ligne, 2023).
En 2007, la création du Laboratoire Cultures, Éducation, Sociétés (LACES) conduit au regroupement de trois équipes d’accueil issues des sections 70, 11 et 74. Cette nouvelle unité de recherche lui offre progressivement un nouvel espace d’engagement au sein de l’Université de Bordeaux 2. En charge un temps de l’Unité de formation en Sciences de l’éducation de l’établissement, il s’implique ensuite au cours des dix dernières années dans la coordination et l’animation avec Éric Dugas et Pascal Legrain de l’axe de recherche « Intervention-Profession » du laboratoire, avant de devenir membre de son conseil scientifique et de gestion. Yves marque son entourage professionnel, non seulement par son humanité, sa bienveillance, sa joie communicative et son expertise mais aussi par son soutien sans faille aux initiatives prises par les gouvernances successives du LACES destinées à assurer la pérennité et l’audience scientifique du laboratoire. Parfois discret, souvent solaire et riche de tant de qualités, il savait aussi accueillir favorablement les propositions de nouvelles coopérations scientifiques, à l’instar de la programmation et de la tenue d’un symposium dédié aux discriminations systémiques, au sein du CR40 au congrès 2024 de l’AISLF à Ottawa. Pendant ces quelques jours de juillet dernier, sous le soleil canadien, « plusieurs » s’y sont retrouvés à ses côtés – Jean-François Bruneaud, Éric Dugas, Zhaïra Ben Chaâbane, Fabien Sabatier - pour partager ce qui fait souvent le sel de la vie universitaire, les moments mêlés de discussion scientifique et de plaisir non dissimulé d’être ensemble.
Les auteurs et autrices de ce texte ont voulu dire, ensemble, une chose essentielle de la démarche scientifique et de la personnalité d’Yves : sa capacité à travailler avec d’autres et à faire collectif, sa présence active et précieuse à celles et ceux qui ont eu la chance de le côtoyer, le plaisir unanime à partager des moments de vie entre plaisir et travail. Yves a marqué le paysage universitaire par sa personnalité hors norme, sans jamais renoncer à aucune passion : celle du désert, de l’océan, des orages et cadeaux de la vie. Il manque déjà.
Éric Debarbieux et Catherine Blaya, Jean-François Bruneaud, Éric Dugas, Benjamin Moignard, Stéphanie Rubi, Fabien Sabatier