Comme un certain nombre des sociologues de sa génération, Lise Demailly a fait des études de philosophie. Mais, lorsqu’ayant obtenu l’agrégation, elle est nommée en 1969 dans une École normale d’instituteurs, ce n’est pas, en dépit de l’intitulé de son poste, la philosophie qu’elle enseigne, mais la psychopédagogie, ce qui la conduira à soutenir en 1980, sous la direction de Pierre Bourdieu, une thèse de 3e cycle intitulée « Pédagogie du Français et rapports sociaux ».
Ce choix de la sociologie a décidé de sa carrière ultérieure. Elue en 1988 maitre de conférences de sociologie à Lille 3, elle a présenté, en 1990, une habilitation à diriger les recherches et est élue, professeur de sociologie à l’IUFM du Nord Pas de Calais, dont elle va être également directrice adjointe, puis, en 1998, au département de sociologie de la Faculté des Sciences et Techniques de Lille 1. Mais ce n’est pas uniquement par ce parcours qui va de la philosophie à la sociologie que Lise Demailly s’est distinguée, c’est aussi par la diversité de ses objets de recherche dans une période où la spécialisation en sociologie s’est imposée.
Loin de se limiter à l’analyse des pratiques pédagogiques des enseignants, elle a élargi très vite sa recherche aux métiers de l’éducation (professeurs d’enseignement général de collège, inspecteurs, chefs d’établissements, formateurs…), ainsi qu’aux systèmes d’évaluation publique et aux modes de régulation des politiques éducatives. Plus récemment, elle avait pris comme objet la santé mentale, les politiques et les pratiques de la psychiatrie, et, avait même fait, à travers la science-fiction, une incursion dans la sociologie de la littérature. Ses nombreuses publications en témoignent. Elle a apporté sur chacun de ces thèmes des contributions très significatives dont le fil conducteur est la réflexion sur l’institution.
Dans un autre domaine, celui des engagements associatifs scientifiques, elle a manifesté aussi sa capacité de passer d’un univers à un autre. Après s’être beaucoup investie dans l’Association française de sociologie dont elle a été de 2004 à 2006 vice-présidente en charge des Réseaux thématiques et de la revue Socio-Logos, puis, jusqu’en 2013, membre du comité exécutif, elle a rejoint, de 2012 à 2016, le bureau de l’AISLF où elle a été très active en organisant en 2015 à Lille, le colloque « Guérir, se rétablir, aller mieux… en santé mentale et ailleurs » et en étant co-fondatrice du GT 24 « sociologie des institutions ».
Enfin, il faut aussi souligner que son activité ne s’est pas limitée à cette vie professionnelle déjà très riche. Une partie de son temps, surtout ces dernières années, a été consacrée à la création artistique, à la réalisation de sculptures en bois ou en céramique, dont des totems de jardin très suggestifs, ou encore à la danse moderne, au chant... Au service de ces intérêts multiples, elle a mis une énergie d’autant plus forte qu’elle a dû faire face dans la dernière partie de sa vie à la maladie qui l’a emportée, mais qui ne l’a pas vaincue. Jusqu’au dernier moment, elle a continué à corriger les épreuves d’un ouvrage collectif, à s’intéresser aux projets de l’AISLF, à planifier son emploi du temps pour participer aux nombreuses associations culturelles locales dont elle faisait partie…
Monique Hirschhorn