Yvonne, dit-il
Il attend une femme, dans cette immense bibliothèque où les plus grands savants du monde ont déposé leurs livres, comme autant d’offrandes faites à l’Inépuisable Savoir. La femme qu’il attend porte en elle et sur elle une inaltérable jeunesse : sa taille semble avoir été moulée par un sculpteur libertin, ses cheveux évoquent les noires calligraphies des scribes orientaux, sa voix a gardé de son Sud-Ouest natal quelques traces d’un accent plein de soleil que les bises qui enrhument Paris ne sont pas parvenues à dissoudre. Il lui revient, quand il la retrouve, comme un parfum de choses qui ne dessèchent jamais l’âme et imprègnent tous ceux qui le respire de désirs de faire mieux. Ce parfum apaise les conflits, suscite des enthousiasmes, disperse les mauvaises paroles, encourage les promesses qui devront être tenues.
Lui, qui a lu presque tous les livres, sait que sans elle il n’aurait peut-être jamais eu envie de les ouvrir. Son jugement s’efforce de s’aligner sur celui de cette femme, qui ne se perd jamais dans les sarcasmes et les anathèmes, et qui passe toujours par le coeur avant de déborder de l’esprit.
Il est là à attendre, dans l’immense bibliothèque et l’attente lui est en même temps lourde et légère, anxieuse et joyeuse. Elle saura trouver les mots qui conviennent pour l’inviter à ajouter d’autres livres à ces livres, les siens dont elle relira les pages, une par une, inquiète d’ignorer le moindre faux-pas d’écriture, la moindre inélégance de pensée. Heures précieuses où son crayon virevolte comme l’alêne d’un gantier, où ses lèvres égrènent les mots qui tentent de dire l’incompréhensible ! Il entend un bruit dans le couloir, il court à la porte, l’ouvre toute grande, elle est là, il dit : « Yvonne », et évidemment elle est souriante.